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  • Mikaël Dautrey
Le SD-WAN : quel retour sur investissement ? partie 1

Première partie : analogie avec la ToIP

Coût fixe et valeur client exponentielle

Le métier d'opérateur télécom comme celui d'éditeur logiciel consiste à revendre à prix variable des coûts essentiellement fixes. Le coût marginal du client supplémentaire est nul, son coût moyen est inversement proportionnel au nombre de clients. En théorie, votre opérateur ou votre éditeur devrait rembourser une part de votre abonnement ou de votre licence à chaque fois qu'un nouveau client s'ajoute.

Cette règle explique en partie le succès de l'open source, un coût de développement fixe et un coût de diffusion quasi-nul permettant de développer et de diffuser des logiciels à très grande échelle avec des marges quasi nulles. Pour cette même raison, certains éditeurs logiciels de renommée mondiale ont des équipes de moins de 2000 salariés, MongoDB, Apache foundation, Jetbrains ou Elastic par exemple.

Elle doit évidemment être nuancée. Les coûts marketing et publicitaires qui vous conduisent à acheter tel produit plutôt que tel autre ou à choisir tel opérateur plutôt que tel autre sont probablement relativement linéaires, tout comme les coûts administratifs des clients ou le coût de la couverture géographique dans le cas d'un opérateur.

Variabiliser un coût fixe

La capacité à variabiliser un coût quasi-fixe est donc essentielle pour construire les tarifs et la marge d'un opérateur ou d'un éditeur. La tarification au volume qui en découle est supposée se justifier par l'utilité du service perçu par le client. Autant la minute de conversation était une mesure simple de l'usage du téléphone, autant le GO de données semble plus problématique pour mesurer l'usage d'Internet. Télécharger une image de 10Mo apporte-t-il plus de valeur qu'une image de 500ko ? Comment maîtrise-t-on sa consommation de données ? Le Go reste la mesure d'usage de l'Internet mobile à ce jour, du fait d'une forme d'accord des clients et des opérateurs sur cette méthode de tarification.

Il y a évidemment des tensions entre des périodes d'innovation où la tarification tend à être linéaire à l'usage (service facturé à la consommation) et des périodes de consolidation ou de maturité d'une technologie où l'on bascule sur un mode de tarification forfaitaire (Internet illimité, mobile illimité, SMS illimité).

Aujourd'hui, le modèle de tarification du SD-WAN est linéaire à l'usage, comme nous allons le voir

Analyse d'un "game changer" raté : la ToIP

Apparue sur le marché des entreprises dans les années 2000, la ToIP avait tout pour être un "game changer" :

  • suppression du matériel local (le PABX) => réduction des coûts matériels, de maintenance, déploiement...
  • utilisation d'une liaison Internet DSL banalisée => suppression de la variabilité au volume ou à l'usage imposée par les tarifications opérateurs
  • suppression de la géographie, à la fois dans la répartition des téléphones (plus de notion de sites) et dans la tarification opérateur (appel local, transit, international...)

La ToIP bousculait un marché déjà structuré :

Client / sous-estimation de la complexité fonctionnelle : des années de développement de la téléphonie d'entreprise avait produit une richesse fonctionnelle que la ToIP ne reproduisait pas dans ses premières version, filtrage, interception, groupement, restriction, présentation du numéro, DTMF, ...

Opérateurs télécom / Rupture du modèle tarifaire : les opérateurs avaient l'habitude de vendre des numéros de téléphone, des lignes et des minutes. La ToIP supprimaient ces éléments essentiels de leur modèle tarifaire voix.

Installateur / Réduction du périmètre de prestation : la simplification de l'architecture matérielle conduisait à une baisse des budgets d'intégration et de maintenance; le mélange données et voix obligeait à mettre à jour les compétences techniques des équipes.

Equipementiers / Déplacement de la valeur du matériel vers le logiciel : la valeur (le système de téléphonie) se déplaçait vers le coeur du réseau. La suppression des frontières entre les systèmes (sites à équiper, lignes téléphoniques utilisateurs, accès opérateurs) et des démarches de standardisation (SIP) dans le cadre de l'Internet risquait de briser le verrou propriétaire de la téléphonie traditionnelle.

Autorité de réglementation / suppression des frontières géographiques : le numéro de téléphone perdait son attache géographique. Les plans de numérotation géographiques (le ZABPQ) étaient obsolètes.

L'adoption de la ToIP a été freiné par plusieurs leviers :

  • A) L'aversion au risque du client :
    • Argument 1 : le téléphone fixe est un service stratégique pour vous, il faut donc sécuriser vos sites en gardant des lignes RNIS et du matériel (gateway de secours) dans l'hypothèse où votre système de ToIP tomberait.
    • Argument 2 : en cas d'incendie sur un site, les secours ne sauront pas localiser vos employés si vous n'avez pas au moins une ligne fixe traditionnelle avec un numéro géographique.
    • Argument 3 : vous n'avez aucune garantie quant à la qualité de service si vous passez par Internet. Il vous faut des liens spéciaux, SDSL, avec un profil de débit et un tarif adaptés à vos besoins.
  • B) L'absence de standard et d'interopérabilité :
    • Vous pouvez déployer des terminaux d'une autre marque sur notre système mais vous devez payer des licences sur notre système central (dont le prix comble l'écart de prix entre vos terminaux low cost et les notres) et vous perdez les fonctionnalités X et Y qui sont propriétaires et ne se trouvent que sur notre solution.
    • Vous pouvez basculer vers du SIP trunking pour vos interfaces opérateur mais nous (opérateur) ne supportons que le SIP des équipementiers A et B. D'autre part, nous vous facturons un coût au nombre de connexions simultanés que vous souhaitez avoir sur ces liens SIP (qui sont pourtant de l'ethernet 100Mbps basic avec de l'IP dessus)
    • Vous pouvez effectivement remplacer vos interfaces RNIS par des interfaces SIP. Cependant, les interfaces trunk SIP ne sont supportés qu'à partir de la V10 du logiciel de votre IPBX et vous avez arrêter votre abonnement à la maintenance à la V8. Il faut donc que vous repayez une licence complète avec un coût fixe + un coût pour le trunk au nombre de connexions + un coût pour les terminaux en fonction du nombre de terminaux connectés. Si vous partez chez un concurrent, il vous faudra racheter en plus les terminaux car les nôtres ne sont pas compatibles.
  • C) Mauvaise prise en compte de la complexité fonctionnelle :
    • Si vous faites un renvoi fixe du numéro R sur le numéro F, en théorie, vous pouvez afficher le numéro appelant A sur le terminal F; en pratique, pour des questions de sécurité, notre gateway SIP réécrit systématiquement les numéros appelants pour que le numéro affiché soit égal au numéro de la station qui réalise le renvoi.
    • La fonction A n'est pas supporté sur les terminaux SIP raccordés à notre système. Il faut que vous utilisiez la version propriétaire de H323 pour cela.
  • D) Réglementation :
    • Vous aviez obtenu des numéros en 03 50 parce que votre système était hébergé dans un datacenter de Mulhouse, bien que vos bureaux soient à Lille. Si vous déménagez votre système vers un datacenter sur Montpellier, vous ne pourrez pas faire jouer la portabilité parce que vous n'aurez plus d'adresse à Mulhouse, bien que vos bureaux n'aient pas déménagé
    • etc...

Il est intéressant de constater le résultat de ce jeu vingt ans après l'introduction de la technologie :

  • la téléphonie fixe a perdu une bonne part de sa position stratégique dans l'entreprise au profit d'Internet
  • peu innovant, le marché s'est contracté ou déplacé vers la téléphonie mobile et les applications softphone comme skype, zoom, etc...
  • les équipementiers historiques ont quasiment disparu du marché
  • les installateurs traditionnels ont dû s'adapter, faire autre chose
  • quelques nouveaux équipementiers, issus du monde des réseaux, ont pris massivement des parts sur les équipementiers historiques
  • la valeur est remontée dans le réseau des opérateurs, accès Internet et téléphonie Centrex.

De manière un peu caricaturale, on peut dire qu'une stratégie trop défensive et l'absence de standard commun a réduit la valeur de la ToIP au profit du mobile qui a capté toute l'innovation. Il est possible que le WebRTC, en cours de développement, permette d'atteindre un niveau de standardisation qui manque encore, notamment aux applications de visioconférence sur le web.

Analogie avec le SD-WAN

Le SD-WAN comme la ToIP est un service à la frontière entre l'opérateur et l'équipementier. La valeur peut être captée par l'un ou par l'autre. La stratégie des équipementiers est d'ailleurs complexe. Ils sont à la fois concurrent des opérateurs lorsqu'ils équipent des clients finaux, et fournisseurs des opérateurs qui développent leur réseau et leur offre SD-WAN.

Comme expliqué dans un précédent post, le SD-WAN offre également un certain nombre d'avantages en rupture par rapport aux technologies opérateurs existants. Nous retrouvons également, dans le discours actuels des contructeurs et des opérateurs, les freins qui ont conduit à l'échec - relatif - de la ToIP :

  • A) Aversion au risque des clients :
    • Vous devriez garder votre réseau MPLS pour transporter les données les plus sensibles et ajouter des liens Internet standard en plus sur tous vos sites pour bénéficiez des avantages du SD-WAN (tout en cumulant les coût d'un réseau MPLS et SD-WAN)
  • B) Absence de standard et d'interropérabilité :
    • Notre solution utilise le standard IPSec. Mais vous ne pouvez pas l'interconnecter avec la solution de notre concurrent et bénéficier d'un réseau sans couture intégrant les deux solutions.
  • C) Mauvaise prise en compte des besoins :
    • Si vous souhaitez que les flux Internet partent vers un proxy cloud de la marque Z, c'est possible mais nous ne l'avons jamais réalisé.
    • Nous n'avons pas prévu de mécanisme anti-DDOS. C'est à vous de le voir avec votre opérateur si vous souhaitez pour protéger contre ce type d'attaque.
    • Nous proposons une version virtuelle de nos appliances. Nous ne faisons pas de recommandation particulière concernant l'isolation de cette appliance virtuelle par rapport au reste de votre architecture. C'est à vous de définir votre architecture.
    • Notre solution embarque un parefeu mais vous pouvez ajouter le votre côté LAN pour plus de sécurité.
    • Nos équipements sont compatibles avec la plupart des modem 4G qui se branchent directement sur nos appliances. Vous feriez mieux d'utiliser les modems de la marque T qui sont les seuls que nous avons testés
    • Le service cloud de contrôle de la solution est hébergée chez des hébergeurs cloud de renommée mondiale. Nous ne pouvons pas vous apporter beaucoup de détails à ce sujet mais nous sommes de bons professionnels.

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